Le monde des clochards
"Du côté social, il y a parallèlement à la volonté de soigner, un sadisme de la société à l'encontre des clochards. La société, en général, déteste les "différents", les exclus et ceux qui semblent avoir fait le choix d'une autre réalité que celle de la normalité et du travail. Ces gens sont persécutés. Par exemple, les pouvoirs publics et les associations se flattent de pouvoir offrir en cas de grande urgence (lorsqu'il fait très froid) 3500 lits aux sans abris parisiens. Or, les estimations les plus prudentes évaluent cette population à 10 000 ou 15 000 individus. Un lit pour trois, c'est l'exacte mesure du cas que fait la société de ses exclus...
Du point de vue psychiatrique, les clochards sont dans l'alcool, dans l'abandon de soi. La clochardisation est une folie de la misère comme le délire mystique est une folie de la religion. Les clochards sont dans un exil dont on ne revient pas. C'est une maladie du lien; du lien avec les autres mais avec soi-même d'abord. Les clochards sont dépossédés de leur propre passé et de leur avenir.
Ce sont des morts vivants.
C'est aussi un phénomène universel. Même dans les pays du tiers-monde, on trouve aux côtés de mendiants socialisés, à dénuement égal, de véritables clochards qui ont, eux, abandonné toute relation au monde telle que nous la concevons."
Patrick Declerck, interviewé à propos de son livre "Les naufragés".