- Extrait du texte
– PARTIE 3 SCENE 6


Un intérieur. Il fait sombre. Une femme en deuil est assise près d'une fenêtre close. On ne distingue pas son visage mais on la devine jeune et belle. L'Élu fait les cent pas autour d'elle.

L'ÉLU – J'ai marché sur la lune pour venir à vous. Elle n'est pas comme on la voit. Ni froide ni grise. On s'y sent enfin chez soi. La terre est un point si fragile. Un atome bleu. Une goutte blanche dans l'océan de l'infini. Le silence sur la lune n'a pas d'équivalent. On s'y entend penser. Il y a le murmure filant des étoiles et le bouillonnement des voix lactées. De la terre on ne perçoit plus que les lamentations des femmes en deuil. Votre deuil est un deuil de trop. On m'en accuse, je m'en défends. Votre homme avait le coeur fêlé, il s'est brisé à l'annonce de la mort de son fils. Son coeur est mort avant lui. On m'accuse aussi pour la mort du fils. C'est faux. C'est vrai, je lui ai parlé avant l'incendie. Il pleurait dans sa prison de papier, de chiffres et de dates. Mourir brûlé d'un feu brûlant des actes de naissance, ce n'est pas banal. Il fumait. C'était un garçon qui ne mesurait pas le poids de ses actes. On dit que je tue ceux qui veulent me tuer. Dois-je me laisser terroriser par des terroristes? Des hommes en retard prennent de l'avance sur la mort d'un autre et voilà qu'on me fait coupeur de têtes. Croyez-moi, ce n'est pas facile de la garder sur les épaules en ce moment. Ma fille, mon sang, me tourne le sang, en ne me voulant plus pour père. Elle m'affame de ses caresses comme elle s'affame depuis des jours. Elle ne boit plus, ne dort plus, saoûlée de rage et gonflée de chagrin. Elle se laisse aller à partir quand j'ai tout fait pour la retenir. Jusqu'où va un père lorsque sa fille lui échappe? Je sais ce qu'elle pense de moi mais elle ignore ce que je pense d'elle. Je veux le bonheur mais rien n'est moins solide que le bonheur. Il me coule entre les doigts comme coule le sang qu'on me reproche à tort de faire couler. La vérité est que la haine de tous a grossi sur la réputation d'un seul. Les hommes font la guerre à la paix car ils préfèrent la nuit à l'ennui. Donnez-moi une raison qui donnerait raison à mes torts. La vengeance? Il faut avoir des amis pour se faire des ennemis. La jalousie? Il faut posséder pour perdre. La haine? Il faut savoir aimer pour savoir détester. La cruauté? Il faut trouver le bien pour chercher le mal. Je suis un homme sans envergure ni foi. Mais près de vous, j'ai foi en l'envergure des hommes. Je suis une poussière dans la poussière des hommes. Mais je veux bien être une poussière parmi les poussières dans l'oeil d'une femme, si cet oeil c'est le vôtre. Vous me pensez fou? N'est pas fou qui veut. À l'instant, deux harpies ont lapidé une femme trop hardie. Simplement parce qu'un enfant n'a pas su parler comme un homme. Est-ce de ma faute, si les gens se détestent au point que l'absence d'un seul petit mot les fasse s'entretuer? L'homme aime le remord, ça donne un sens à ses regrets. Comme la mort est un remède à l'amour quand l'amour est une parade à la mort. J'ai du pouvoir parce que tout le monde en veut. Je suis brutal parce qu'ils le sont tous. Je suis opportuniste parce que l'audace a été noyée dans le fleuve des souvenirs avec la bravoure, l'honneur, le bon goût et les bonnes manières. C'est un mélange rare qui macère en moi depuis des siècles et fait un alcool qui pousse à l'abus. Qui peut m'en vouloir quand je m'en sers un verre, le soir venu, tassé dans le fauteuil de mon destin, près du feu de mon existence. Je m'ennivre de mélancolie parce que la joie est une soif. Je ne veux rien de plus que ce que tous réclament. Mais moi, j'en fais don. Et ce que je donne est pris, mais pas compris. Qui peut comprendre? Vous ne répondez pas. Vous ne dites rien. Suis-je bête? J'oublie que vous êtes muette. Pardon. Je voudrais broder mon pardon sur l'habit noir de mes condoléances. Pardonnez-moi de ne pas être aimé car la haine des autres me fait paraître mauvais. Vous êtes seule devant moi, sans beau-fils ni époux, je suis seul contre tous, sans fille ni femme. Vous entendez cet air?
(On entend une fanfare dans la rue qui répète ses accords.) C'est la fanfare dans la rue qui répète ses accords. Elle joue un air qui me ressemble, triste et fier à la fois. (L'Élu tend à la Veuve la fleur de la Joyeuse.) J'aime la musique de l'amour, pas vous? Il y a bien longtemps que je n'ai pas touché les seins noirs d'une veuve et je suis si curieux de m'allonger dans le lit d'un révolutionnaire mort... (Il la traine par les cheveux vers la chambre conjugale.)
sous des pluies de feuilles sèches
LE SIFFLEMENT DE LA CORRESPONDANCE
NOUS NOUS CACHERONS SOUS DES PLUIES DE FEUILLES SÈCHES ET NOUS ATTENDRONS, ENCORE, LE SIFFLEMENT DE LA CORRESPONDANCE
NOUS NOUS CACHERONS SOUS DES PLUIES DE FEUILLES SÈCHES ET NOUS ATTENDRONS, ENCORE, LE SIFFLEMENT DE LA CORRESPONDANCE
NOUS NOUS CACHERONS
encore